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vendredi 31 octobre 2014

Home Sweet Home

Diogène
Pour vivre heureux, l’être humain doit pouvoir satisfaire trois besoins essentiels: manger, se vêtir et se loger. Si les deux premiers besoins sont certes particulièrement importants, c’est le troisième, le logement, qui est le plus important de tous. Car sans logement, pas de travail et sans travail, pas de revenus, donc rien à manger et rien à se mettre sur le dos.

Lorsqu’on perd son emploi, il est essentiel de continuer à payer son loyer et son assurance maladie. Mais ici également, le logement est plus important que la santé. En effet, pour pouvoir retrouver du travail, il faut avoir une bonne présentation. Pour cela, il faut pouvoir bien dormir, se raser, se laver, avoir une table et une plaque (électrique ou au gaz) pour se faire à manger, pouvoir faire la lessive et avoir un endroit au sec et à l’abri des voleurs pour y mettre ses habits et - de nos jours - son ordinateur ou sa tablette, qui ont besoin d’une source d’électricité pour pouvoir fonctionner. Avoir une boîte aux lettres est indispensable pour recevoir son éventuel contrat d’embauche. Une fois qu’on a perdu son bail, autant dire qu’il est impossible d’en obtenir un à nouveau, étant donné qu’il faut pouvoir avancer trois mois de loyer en garantie, présenter des fiches de paie qui inspirent confiance etc. On se retrouve alors à faire le tour des canapés de ses amis qui, à la longue, finiront par vous trouver encombrant. Ne reste plus qu’à aller frapper à la porte de l’Armée du Salut ou des abris pour SDF, entouré d’un halo - et d’un fumet - qui n’inspire que la méfiance. Les gens oseront de moins en moins dépanner celui ou celle qui en a pourtant drôlement besoin et qui finira par sombrer de plus en plus profondément.

Le salon de Downton Abbey
Les jeunes dits en rupture qui ont des parents ou de la famille qui les portent à bout de bras ont bien de la chance. Et même les jeunes bien ordinaires: il faut que leurs parents puissent leur payer un logement pendant leurs études, s’ils étudient dans une autre ville. Les piaules pour étudiants sont chères et les bourses limitées. Rien que de ce fait, est difficile pour des enfants de prolo de grimper l’échelle sociale.

Laisser entrer quelqu’un chez soi demande beaucoup de confiance et de générosité. Cela signifie céder un peu de son espace et de son territoire afin de l’offrir à l’autre. Le chez-soi est quelque chose d’éminemment intime: votre invité voit quels livres vous lisez, quelle musique vous écoutez et peut décrypter votre personnalité en fonction de vos goûts de décoration intérieure. Une personne qui se retrouve seule après un divorce, un deuil ou après le départ de ses enfants devenus grands sera sans doute ravie d’avoir à nouveau quelqu’un à qui parler. En revanche, celle qui apprécie non seulement le silence, mais sa solitude, sa petite routine et la liberté de vivre à son rythme aura plus de peine à laisser autrui pénétrer son espace de vie. J’ai fait cette expérience en gardant une chienne chez moi pendant quelques jours: au début, il fallait que je m’habitue à cette nouvelle présence, ce regard insistant espérant une promenade, une caresse ou une croquette. Il fallait que je prépare deux repas, le mien et le sien et que je sorte la promener. Mais quel vide béant quand elle est repartie chez son maître! Inconsciemment, je la cherchais et je m’étonnais qu’il n’y ait plus rien ni personne qui réclame mon attention.
Two is company, three is a crowd*)
A deux reprises, ma mère a dépanné des femmes qui cherchaient un toit. Les deux fois, sa générosité a bien failli lui péter à la figure. Dans les deux cas, ces femmes se seraient bien installées indéfiniment chez elle, en prenant de plus en plus leurs aises car, une fois logées, tous leurs besoins semblaient satisfaits. Nous sommes parvenues à la conclusion qu’il était essentiel, non seulement de fixer des limites, par exemple dans le temps, mais également d’exiger un loyer, fût-il symbolique. Ma mère, toujours elle, avait pour coutume de dire "Au bout du troisième jour, l’invité commence à sentir mauvais", comme quoi, même si c’est sympa, il faut que les règles du jeu entre l’hôte et son invité soient bien claires. A partir du quatrième jour, ce n’est plus une visite mais de la co-location.
Bernard l'hermite

Vient ensuite la co-habitation proprement dite. Si l’invité abuse du téléphone ou passe sa musique préférée en continu, prend toute la place à la cuisine, voire - Oh! crime de lèse-territoire! - se permet des remarques désobligeantes ou, pire encore, déplace des meubles, cela sera immédiatement perçu comme de l’usurpation et par conséquent comme une agression. Il y a fort longtemps, j’ai partagé une chambre d’étudiante avec une jeune fille qui n’écoutait que de la Country, en boucle. Ca m’a appris la patience, la tolérance et la maîtrise zen de mes pulsions de meurtre. Ca m’a aussi appris à comprendre le prix d’un espace à soi, rien qu’à soi.


Les personnes âgées ont souvent besoin de compagnie, ainsi que d’une personne qui puisse leur donner un coup de main et être là en cas de pépin. Les étudiants et tous ceux qui cherchent à s’établir dans la vie ont, quant à eux, besoin de se loger. Ne pourrait-on pas combiner ces deux demandes? N’existerait-il pas un service social qui encadre ce genre d’échange, afin que tout se fasse dans la confiance et la sécurité, de part et d’autre? Un système de ce type a été inventé aux Etats-Unis - where else? - pour du house-sitting et dog+cat-sitting : des voyageurs vous gardent votre maison, ainsi que votre chat ou votre chien pendant votre absence. Il faut pour cela de sérieuses garanties, un peu comme avec AirBnB

Cela fait maintenant 21 ans que j’habite le même appartement, un record! Je me rends compte aussi que je devrais louer le ciel, chaque soir quand je me couche et tous les matins au lever d’avoir la chance d’avoir un joli appartement, un petit chez moi où je sais que je serai au chaud et à l’abri. Car ce n’est pas quelque chose qui va de soi.

*) A Night at the Opera - the Marx Brothers

Voir aussi: