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vendredi 7 novembre 2014

De coloribus … non est disputandum


Appelez-les comme vous voulez!

Quand j’étais enfant, je mangeais des têtes de nègres et j’adorais ça. Avant d’arriver en Suisse, je mangeais des Negerkuss – des baisers de nègre – et j’adorais ça. Bien que leur fille soit mineure, mes parents ne voyaient aucun mal à ce qu’elle reçoive des baisers d’un homme de couleur. C’est sans doute parce qu’il n’y avait aucun homme, de quelque couleur que ce soit, à l’horizon. Cette friandise si appréciée a pu, fort heureusement, survivre, il a simplement fallu lui donner un autre nom : tête au choco ou autre. A noter qu'en Autriche, cette même friandise s'appelle Schwedenbombe. Ça ne pose évidemment aucun problème.

Fazerin lakupekka 1)

Lorsque j’étais enfant, ce que j’aimais le plus en allant en vacances en Finlande, c’était de retrouver les bâtons de réglisse de chez Fazer, le célèbre pâtissier-confiseur. Les emballages portaient l’image stylisée et caricaturale d’un habitant du continent d’où provient la matière première de ladite friandise. Autrement dit, enfant, j’ai appris à associer l’Afrique à quelque chose de sucré et de délicieux, tout comme les baisers – dorénavant interdits – du paragraphe précédent.

Avant / Après
En Allemagne, certaines petites épiceries portaient (portent encore?) le nom de Kolonialwaren : marchandises coloniales. Cela signifiait qu’on y vendait du café, du thé, du cacao, du sucre, marchandises autrefois exotiques. Je ne sais pas si cette dénomination a été supprimée, mais en Autriche, les enseignes des magasins Julius Meinl portent encore une image qu’on pourra qualifier de raciste. Mais quel magasin affichera une image négative pour attirer le chaland, je vous le demande ? Peut-on réellement croire à une intention mauvaise et discriminatoire derrière ce choix ? Il va sans dire que l’image d’un gros Bavarois avec une chope de bière à la main ne poserait aucun problème, mais quel rapport avec le café et le chocolat ?
Café Julius Meinl
La Suède, championne toutes catégories du politiquement correct, s’est lancée dans l’éradication de tout ce qui pourrait inciter à la haine raciale. Les têtes au choco ne s’appellent donc plus negerbollen. Le papa de Fifi Brindacier n’est plus un Negerkung mais Kung Kalle av Kurrekurreduttön  (le roi Kalle d’un endroit imaginaire). Comme tous les enfants, j’ai lu Fifi – en anglais, mind you… - et son père était un King of the Southern Seas. Je me souviens avoir été un peu effrayée à l’idée de cette fillette de mon âge qui vivait toute seule dans une grande maison, avec un singe et un cheval, mais elle avait tout de même un papa et s’il était absent, c’est parce qu’il était quelqu’un de très important à l’autre bout du monde. Astrid Lindgren a voulu faire du papa de Pippi Långstrump quelqu’un de formidable et inspirant le respect. Selon les règles du politiquement correct, elle aurait dû en faire un ingénieur forestier travaillant quelque part en Laponie. Mais est-ce la bonne solution que de n’avoir, dans les livres pour enfants, que des personnages blancs, européens et ennuyeux ? Et que faut-il penser du fait que cette fillette vive seule, entourée d'animaux? Va-t-elle au moins à l'école? Que font donc les services sociaux ?

Option PC: le bonhomme est blanc
Tout va bien
Dans les pays nordiques, Noël est une fête très importante, un havre de lumière au milieu de l’hiver. Comme ailleurs en Europe du nord, on y mange des biscuits de type pain d’épice, contenant de la cannelle, du gingembre, du girofle et de la mélasse, ce qui leur donne une couleur brun-caramel. Ces biscuits ont diverses formes : étoile, fleur, cheval, bonhomme, cochon….. A l’occasion de la fête de la Sainte-Lucie, les enfants se déguisent et il arrive – oh ! Sainte horreur ! – que certains enfants se déguisent en biscuit de Noël. Cela a maintenant été décrété comme étant raciste et donc interdit. J’imagine qu’il est aussi interdit de se déguiser en Rois mages, ou alors il faudrait ré-ecrire la Bible et décréter que ces trois messagers étaient blancs. Il faudrait aussi traiter la cannelle, le gingembre, le girofle et la mélasse pour qu’ils deviennent blancs. Il sera alors à nouveau permis de se déguiser en biscuit de Noël. Le catalogue IKEA présente des emporte-pièces en forme de sapin, de maison, d’étoile….. mais pas de bonhomme. On n’est jamais trop prudent.
Toujours en Suède, Haribo a retiré de ses sachets de bonbons à la réglisse ceux qui avaient la forme de masques africains, amérindiens, asiatiques. Il faudrait sans doute aussi fermer les musées d’art primitif et d’art africain, qui se vend pourtant très cher. Ne resteront donc que les bonbons en forme de fleur, de voiture ou de petite maison. Mais finalement, ne faudrait-il pas tout simplement interdire la réglisse ?
Les partisans du politiquement correct ne voient-ils donc pas à quel point ils font l’inverse de l’effet recherché ? Leur message revient à dire : pour ne pas être raciste, tout doit être blanc, donc normal, comme dirait Coluche. La négritude n’existe pas, le métissage non plus. Si une personne a de la couleur sur la peau, on fera surtout semblant de ne pas la voir, parce qu’en réalité, ça dérange et ça met mal à l’aise.

Racisme anti-autrichien
En France, on tourne aussi savamment autour du pot, pour ne surtout pas appeler un chat un chat. On dira : une personne issue de la diversité ou encore : une personne appartenant aux minorités visibles. Comment peut-on considérer qu’il s’agit là d’une dénomination correcte et respectueuse ? Car cela revient à dire : "Tu n’es pas comme nous et ça se voit ". On dira aussi : une personne issue des quartiers sensibles et tout le monde comprendra : délinquant, voyou et dealer. C’est parfait ! Comme ça, on n’aura au moins pas dit immigré, ni maghrébin ni bougnoule – mot qui signifie noir en arabe du Maghreb   – mais on le pense néanmoins très fort. Ça ne changera rien à la réalité, les personnes provenant de ces quartiers ou de ces pays continueront à être mal perçues et rejetées par la société. Notons au passage à quel point il est devenu impossible de prononcer ces trois mots, surtout le dernier, qui a toujours eu un sens péjoratif, alors que les deux premiers ne font que décrire un fait, une réalité.

A force d’éviter d’associer les non-caucasiens à des bonbons ou à des pâtisseries, que leur reste-t-il comme modèles positifs ? Des footballeurs, des rappeurs et quelques acteurs qui se comptent sur les doigts d’une main. Pourrait-on envisager de choisir Omar Sy comme égérie du Nespresso ? Ce serait une véritable révolution. On a beau prendre des gants et des pincettes, rien de tout cela n’empêche le continent noir – permettez-moi ce qualificatif – d’être affligé de guerres, de famines, d’épidémies, de pauvreté, de mortalité infantile et maternelle, d’islamisme stupide…. Le pire, c’est qu’on ne demande même pas aux intéressés s’ils se sentent insultés par des têtes au choco et des pains d’épice.
Ne contient pas d'Africain(e)s
Je vais me resservir d’une tasse de thé vert et d’un biscuit bio. Bien au chaud dans mon salon, j’aurai la conscience tranquille, sachant que Tintin n’ira plus au Congo, que le papa de Fifi Brindacier est non seulement blanc mais CEO chez Nestlé et que les bonhommes en pepparkakka ne fêteront plus la Sainte-Lucie. Tout va bien dans le meilleur des mondes.


Epilogue: Tout le monde connaît le riz Uncle Ben's. La farine pour pancakes Aunt Jemima est sans doute moins connue de ce côté-ci de l'Atlantique. Il s'agit de deux produits très courants et très populaires aux Etats-Unis. Tous deux ont pour logo le visage souriant d'une personne d'origine afro-américaine (mais peut-être qu'on ne les appelle plus ainsi....). Le visage de l'Oncle Ben est celui d'un homme ayant réellement existé et qui était maître d' dans un restaurant. Tante Jemima s'appelait Nancy Green et était une esclave affranchie. Les esclaves âgés, ceux qui finissaient par faire partie de la famille, portaient le titre de Oncle et Tante, car il était interdit de les appeler Monsieur ou Madame. Nous avons donc deux représentations de personnages faisant allusion, de façon très directe, à l'esclavage aux Etats-Unis et pourtant, ces marques et ces logos existent toujours.
http://lencrenoir.com/derriere-uncle-bens-et-aunt-jamima/


 1) Pekka est un prénom typiquement finlandais. 

Voir aussi : Tintin au tribunal

Mise à jour, juin 2020 

Et si on les remplaçait par des personnages blancs ? Faudrait-il aussi changer le nom du produit ? Oncle Bernard et Tante Jeannine ?

vendredi 31 octobre 2014

Home Sweet Home

Diogène
Pour vivre heureux, l’être humain doit pouvoir satisfaire trois besoins essentiels: manger, se vêtir et se loger. Si les deux premiers besoins sont certes particulièrement importants, c’est le troisième, le logement, qui est le plus important de tous. Car sans logement, pas de travail et sans travail, pas de revenus, donc rien à manger et rien à se mettre sur le dos.

Lorsqu’on perd son emploi, il est essentiel de continuer à payer son loyer et son assurance maladie. Mais ici également, le logement est plus important que la santé. En effet, pour pouvoir retrouver du travail, il faut avoir une bonne présentation. Pour cela, il faut pouvoir bien dormir, se raser, se laver, avoir une table et une plaque (électrique ou au gaz) pour se faire à manger, pouvoir faire la lessive et avoir un endroit au sec et à l’abri des voleurs pour y mettre ses habits et - de nos jours - son ordinateur ou sa tablette, qui ont besoin d’une source d’électricité pour pouvoir fonctionner. Avoir une boîte aux lettres est indispensable pour recevoir son éventuel contrat d’embauche. Une fois qu’on a perdu son bail, autant dire qu’il est impossible d’en obtenir un à nouveau, étant donné qu’il faut pouvoir avancer trois mois de loyer en garantie, présenter des fiches de paie qui inspirent confiance etc. On se retrouve alors à faire le tour des canapés de ses amis qui, à la longue, finiront par vous trouver encombrant. Ne reste plus qu’à aller frapper à la porte de l’Armée du Salut ou des abris pour SDF, entouré d’un halo - et d’un fumet - qui n’inspire que la méfiance. Les gens oseront de moins en moins dépanner celui ou celle qui en a pourtant drôlement besoin et qui finira par sombrer de plus en plus profondément.

Le salon de Downton Abbey
Les jeunes dits en rupture qui ont des parents ou de la famille qui les portent à bout de bras ont bien de la chance. Et même les jeunes bien ordinaires: il faut que leurs parents puissent leur payer un logement pendant leurs études, s’ils étudient dans une autre ville. Les piaules pour étudiants sont chères et les bourses limitées. Rien que de ce fait, est difficile pour des enfants de prolo de grimper l’échelle sociale.

Laisser entrer quelqu’un chez soi demande beaucoup de confiance et de générosité. Cela signifie céder un peu de son espace et de son territoire afin de l’offrir à l’autre. Le chez-soi est quelque chose d’éminemment intime: votre invité voit quels livres vous lisez, quelle musique vous écoutez et peut décrypter votre personnalité en fonction de vos goûts de décoration intérieure. Une personne qui se retrouve seule après un divorce, un deuil ou après le départ de ses enfants devenus grands sera sans doute ravie d’avoir à nouveau quelqu’un à qui parler. En revanche, celle qui apprécie non seulement le silence, mais sa solitude, sa petite routine et la liberté de vivre à son rythme aura plus de peine à laisser autrui pénétrer son espace de vie. J’ai fait cette expérience en gardant une chienne chez moi pendant quelques jours: au début, il fallait que je m’habitue à cette nouvelle présence, ce regard insistant espérant une promenade, une caresse ou une croquette. Il fallait que je prépare deux repas, le mien et le sien et que je sorte la promener. Mais quel vide béant quand elle est repartie chez son maître! Inconsciemment, je la cherchais et je m’étonnais qu’il n’y ait plus rien ni personne qui réclame mon attention.
Two is company, three is a crowd*)
A deux reprises, ma mère a dépanné des femmes qui cherchaient un toit. Les deux fois, sa générosité a bien failli lui péter à la figure. Dans les deux cas, ces femmes se seraient bien installées indéfiniment chez elle, en prenant de plus en plus leurs aises car, une fois logées, tous leurs besoins semblaient satisfaits. Nous sommes parvenues à la conclusion qu’il était essentiel, non seulement de fixer des limites, par exemple dans le temps, mais également d’exiger un loyer, fût-il symbolique. Ma mère, toujours elle, avait pour coutume de dire "Au bout du troisième jour, l’invité commence à sentir mauvais", comme quoi, même si c’est sympa, il faut que les règles du jeu entre l’hôte et son invité soient bien claires. A partir du quatrième jour, ce n’est plus une visite mais de la co-location.
Bernard l'hermite

Vient ensuite la co-habitation proprement dite. Si l’invité abuse du téléphone ou passe sa musique préférée en continu, prend toute la place à la cuisine, voire - Oh! crime de lèse-territoire! - se permet des remarques désobligeantes ou, pire encore, déplace des meubles, cela sera immédiatement perçu comme de l’usurpation et par conséquent comme une agression. Il y a fort longtemps, j’ai partagé une chambre d’étudiante avec une jeune fille qui n’écoutait que de la Country, en boucle. Ca m’a appris la patience, la tolérance et la maîtrise zen de mes pulsions de meurtre. Ca m’a aussi appris à comprendre le prix d’un espace à soi, rien qu’à soi.


Les personnes âgées ont souvent besoin de compagnie, ainsi que d’une personne qui puisse leur donner un coup de main et être là en cas de pépin. Les étudiants et tous ceux qui cherchent à s’établir dans la vie ont, quant à eux, besoin de se loger. Ne pourrait-on pas combiner ces deux demandes? N’existerait-il pas un service social qui encadre ce genre d’échange, afin que tout se fasse dans la confiance et la sécurité, de part et d’autre? Un système de ce type a été inventé aux Etats-Unis - where else? - pour du house-sitting et dog+cat-sitting : des voyageurs vous gardent votre maison, ainsi que votre chat ou votre chien pendant votre absence. Il faut pour cela de sérieuses garanties, un peu comme avec AirBnB

Cela fait maintenant 21 ans que j’habite le même appartement, un record! Je me rends compte aussi que je devrais louer le ciel, chaque soir quand je me couche et tous les matins au lever d’avoir la chance d’avoir un joli appartement, un petit chez moi où je sais que je serai au chaud et à l’abri. Car ce n’est pas quelque chose qui va de soi.

*) A Night at the Opera - the Marx Brothers

Voir aussi: